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CHRISTOPHE COLOMB.

des flots. Mais elles devinrent bientôt si touffues, qu’ils craignirent d’y entraver leur gouvernail et leur quille, et d’être retenus captifs dans ces joncs de l’océan, comme les navires de la mer du Nord dans les glaces. Ainsi, chaque joie se changeait bien vite en alarmes : tant l’inconnu a de terreur pour le cœur de l’homme. Colomb, comme un guide cherchant sa route à travers ces mystères de l’océan, était obligé de paraître comprendre ce qui l’étonnait lui-même, et d’inventer une explication pour chaque étonnement de ses matelots.

Les calmes de la ligne les jetèrent dans la consternation. Si tout, jusqu’au vent, mourait dans ces parages, qui rendrait le souffle à leurs voiles et le mouvement à leurs vaisseaux ? La mer tout à coup se gonfla sans vent : ils crurent à des convulsions souterraines à son lit. Une immense baleine se montra endormie sur le dos des vagues : ils imaginèrent des monstres dévorant les nefs. L’ondulation des vagues les emportait sur des courants qu’ils ne pouvaient surmonter faute de vent : ils se figurèrent qu’ils approchaient des cataractes de la mer, et qu’ils allaient être entraînés dans les abîmes et dans les réservoirs où le déluge avait étanché ses mondes d’eau. Ils se groupaient, sombres et irrités, au pied des mâts ; ils se communiquaient à plus haute voix leurs murmures ; ils parlaient de forcer les pilotes à virer de bord, de jeter l’amiral à la mer, comme un insensé qui ne laissait de choix à ses compagnons qu’entre le suicide ou le meurtre. Colomb, à qui les regards et les murmures révélaient ces complots, les bravait par son attitude ou les déconcertait par sa confiance.

La nature vint à son secours en faisant souffler de nouveau les vents rafraîchissants de l’est et en aplanissant la mer sous ses proues. Avant la fin du jour, Alonzo Pinzon, qui commandait la Pinta, et qui naviguait assez près de l’amiral pour qu’il pût s’entretenir avec lui bord à bord,