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CHRISTOPHE COLOMB.

apparent, se troubla de quelque doute ; il craignit d’avoir passé sans les voir à travers les îles d’un archipel, de laisser derrière lui l’extrémité de l’Asie qu’il cherchait, et de s’égarer maintenant dans quelque troisième océan.

La plus légère de ses barques, la Niña, qui naviguait en avant-garde, le 7 octobre, hissa enfin son pavillon de découverte, et tira un coup de canon de joie pour annoncer une côte aux deux autres vaisseaux. En s’approchant, ils reconnurent que la Niña avait été déçue par un nuage. Le vent, en l’emportant dans les airs, emporta leur courte joie. Elle se changea en consternation. Rien ne lasse le cœur des hommes autant que ces alternatives de fausses joies et de déceptions amères. Ce sont les sarcasmes de la fortune. Les reproches recommencèrent à éclater sur tous les visages contre l’amiral. Ce n’était plus seulement leurs fatigues et leurs divisions que les équipages imputaient à leur guide, c’était leur vie sacrifiée sans espoir : le pain et l’eau allaient manquer.

Colomb, déconcerté par l’immensité de cet espace, dont il avait cru enfin toucher les bornes, abandonna sa route idéale tracée sur sa carte, et suivit deux jours et deux nuits le vol des oiseaux, pilotes célestes que la Providence semblait lui envoyer au moment où la science humaine défaillait en lui. « L’instinct de ces oiseaux, se disait-il, ne les dirigerait pas tous vers ce point de l’horizon, s’ils n’y voyaient pas un rivage. » Mais les oiseaux même semblaient, aux yeux des matelots, s’entendre avec le désert de l’Océan et avec les astres menteurs pour se jouer de leurs navires et de leurs vies. À la fin du troisième jour, les pilotes, montés sur les haubans à l’heure où le soleil dévoile en s’abaissant le plus d’horizon, le virent se plonger dans les mêmes vagues d’où il se levait en vain depuis tant d’aurores. Ils crurent à l’infini des eaux. Le désespoir qui les abattait se changea en sourde fureur. Qu’avaient-ils à mé-