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CHRISTOPHE COLOMB.

planche travaillée avec la hache, un bâton artistement ciselé à l’aide d’un instrument tranchant, une branche d’aubépine en fleur, enfin un nid d’oiseau suspendu à une branche rompue par le vent, rempli d’œufs que la mère couvait encore au doux roulis des vagues, flottèrent successivement sur les eaux. Les matelots recueillirent à bord ces témoins écrits, parlants ou vivants d’une terre voisine. C’étaient les voix du rivage qui confirmaient celle de Colomb. Avant de contempler la terre des yeux du corps, on la concluait par ces indices de vie. Les séditieux tombèrent à genoux devant l’amiral outragé la veille ; ils implorèrent le pardon de leur défiance, et entonnèrent l’hymne de reconnaissance au Dieu qui les avait associés à son triomphe.

La nuit tomba sur ces chants de l’Église qui saluaient un monde nouveau. L’amiral ordonna de carguer les voiles, de sonder devant les navires, de naviguer avec lenteur, redoutant les bas-fonds et les écueils, convaincu que les premières clartés du crépuscule découvriraient la terre sous les proues de ses vaisseaux. Nul ne dormit dans cette nuit suprême. L’impatience d’esprit avait enlevé tout besoin de sommeil aux yeux ; les pilotes et les matelots, suspendus aux mâts, aux vergues, aux haubans, rivalisaient entre eux de poste et d’attention pour lancer le premier regard sur le nouvel hémisphère. Un prix avait été promis par l’amiral a celui qui jetterait le premier cri de « Terre ! » si la terre en effet reconnue vérifiait sa découverte. La Providence cependant lui réservait à lui-même ce premier regard, qu’il avait acheté au prix de vingt ans de sa vie et de tant de constance et de dangers. En se promenant seul, à minuit, sur la dunette de son vaisseau, et en plongeant son regard perçant dans les ténèbres, une lueur de feu passa, s’éteignit et repassa devant ses yeux au niveau des vagues. Craignant d’être trompé par un éblouissement ou