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CHRISTOPHE COLOMB.

par une phosphorescence de la mer, il appela à voix basse un gentilhomme espagnol de la cour d’Isabelle, nommé Guttierez, en qui il avait plus de foi que dans ses pilotes. Il lui indiqua de la main le point de l’horizon où il avait entrevu un feu, et lui demanda s’il n’apercevait pas une lumière de ce côté. Guttierez répondit qu’il voyait en effet étinceler une lueur fugitive dans cette direction. Colomb, pour se confirmer davantage dans sa conviction, appela Rodrigo Sanchez de Ségovie, un autre de ses confidents. Sanchez n’hésita pas plus que Guttierez à constater une clarté à l’horizon. Mais à peine ce feu se montrait-il, qu’il disparaissait pour reparaître dans une émersion alternative de l’Océan, soit que ce fût la flamme d’un foyer sur une plage basse, découverte et dérobée tour à tour par l’horizon ondoyant des grandes lames, soit que ce fût le fanal flottant d’un canot de pêcheurs, tour à tour élevé sur la crête et englouti dans le creux des vagues. Ainsi la terre et la vie apparurent à la fois à Colomb et à ses deux confidents sous la forme du feu dans la nuit du 11 au 12 octobre 1492. Colomb, commandant le silence à Rodrigo et à Guttierez, renferma en lui-même sa vision dans la crainte de donner encore une fausse joie et une amère déception à ses équipages. Il perdit de vue la lueur éteinte et veilla jusqu’à deux heures du matin, priant, espérant et désespérant seul sur le pont, entre le triomphe ou le retour dont le lendemain allait décider.

Il était plongé dans cette angoisse qui précède les grands enfantements de vérités, comme l’agonie précède le grand affranchissement de l’esprit par la mort, quand un coup de canon, retentissant sur l’Océan à quelques centaines de brasses devant lui, éclata comme le bruit d’un monde à son oreille, et le fit tressaillir et tomber à genoux sur la dunette. C’était le cri de « Terre ! » jeté par le bronze, signal convenu avec la Pinta, qui naviguait en tête de la flotte,