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GUILLAUME TELL.

mon cœur ; mais me taire plus longtemps, ce serait trahir à la fois ma patrie et mon honneur.

Berthe se jette entre lui et le gouverneur. — O Dieu ! vous irritez encore davantage ce furieux.

Rudens. — J’ai abandonné mes concitoyens, j’ai renoncé à ma famille, j’ai rompu tous les liens de la nature pour m’attacher à vous. Je croyais agir pour le mieux en affermissant ici la puissance de l’empereur. Le bandeau tombe de mes yeux. Je me vois avec effroi entraîné dans un abime ; vous avez égaré ma pensée imprévoyante et trompé mon cœur confiant. Avec la volonté la plus noble, je perdais mes compatriotes.

Gessler. — Téméraire ! parler ainsi à ton seigneur !

Rudens. — L’empereur est mon seigneur, et non pas vous. Je suis né libre comme vous, je suis votre égal en tout ; et si vous n’étiez pas ici au nom de l’empereur, que j’honore, même quand vous abusez de votre pouvoir, je jetterais ici le gant devant vous, et, d’après la loi des chevaliers, vous devez me rendre raison. Oui, faites signe à vos soldats ; je ne suis pas sans armes comme le peuple ; j’ai une épée, et celui qui m’approchera…

Stauffacher crie : La pomme est tombée ! (Pendant que tout le monde était tourné du côté du gouverneur et de Rudens, Tell a lancé sa flèche.)

Le curé. — L’enfant vit !

Plusieurs voix. — La pomme est abattue. (Walther Furst chancelle et paraît près de s’évanouir ; Berthe le soutient.)

Gessler, étonné. — Il a tiré ? Comment, ce démon… !

Berthe. — L’enfant vit ; revenez à vous, bon père !

Walther, accourt avec la pomme. — Mon père, voici la pomme ; je savais bien que tu ne ferais pas de mal à ton enfant. (Tell, lorsque la flèche est partie, est resté le corps penché, comme s’il voulait la suivre. Il a laissé tomber l’arbalète. Quand il voit l’enfant revenir, il va à lui les bras ouverts, et le presse avec tendresse sur son sein. Alors la force l’abandonne, et il est près de s’évanouir. Chacun le regarde avec émotion.)

Berthe. — Bonté du ciel !

Walther Furst. — Mes enfants ! mes enfants !

Stauffacher. — Que Dieu soit loué !