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MADAME DE SÉVIGNÉ.

un courtisan qui cherche à stigmatiser ses rivaux. Voltaire, dans son Histoire du siècle de Louis XIV, est moins historique que ces deux échos. On peut affirmer que cette bonne fortune d’avoir eu pour annalistes involontaires une mère aussi émue que madame de Sévigné, et un satirise aussi passionné que Saint-Simon, a beaucoup contribué à l’intérêt et au retentissement de cette grande époque. La correspondance privée de madame de Sévigné devient donc tout à coup une chronique de France. On y voit passer en quelques lignes, en impressions successives, en anecdotes, en portraits, en confidences, en demi-mots, en réticences, en applaudissements et en murmures, mais on y voit passer tout vivants, les événements, les hommes, les femmes, les gloires, les hontes, les douleurs du siècle. Il y a sur chacune de ces pages une empreinte du temps devenue ineffaçable sous cette main de femme. C’est le tableau de famille du dix-septième siècle, retrouvé sous la poussière du château de Grignan pour la dernière postérité.

On ne peut ni réduire, ni analyser, ni graver un pareil tableau, il faut le lire traits par traits épars dans deux mille lettres, et le peintre y est tellement confondu avec les figures, qu’en étudiant le siècle on s’apparente forcément avec l’écrivain. Aussi serait-il impossible d’enlever madame de Sévigné du tableau sans déchirer la toile, et sans qu’il manquât la plus vive couleur et la plus naïve expression à ce règne.

L’absence de madame de Grignan ne sépara madame de Sévigné de sa fille que des yeux. Jamais elle ne lui fut plus présente. Les intérêts de monsieur et de madame de Grignan, devenus désormais sa seule pensée, la rendirent plus ambitieuse que la nature ne l’avait faite ; elle fit attention à tout ce qui pouvait servir ou desservir à la cour la fortune de son gendre ; elle se fit l’ambassadeur perpétuel du nouveau gouverneur de Provence auprès des hommes