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MADAME DE SÉVIGNÉ.

de qui cette fortune et cette considération dépendaient, pendant qu’elle écrivait d’admirables conseils politiques à M. de Grignan, pour lui apprendre à ménager les partis, les intérêts, les vanités, à Aix et à Marseille ; elle se répandait plus que jamais dans les sociétés influentes de Paris pour y faire valoir ses services ; elle y cultivait avec assiduité toutes les amitiés de la jeunesse pour les reporter sur sa fille. Jusque-là elle avait joui négligemment d’être aimée ; maintenant elle aspirait volontairement à plaire. Ses agréments n’étaient plus seulement des hasards, c’étaient des moyens ; sa beauté toujours jeune, ses entretiens toujours recherchés, son esprit plus souple et plus caressant que jamais, étaient devenus la diplomatie des deux familles. Elle ne négligeait plus rien de ce qui pouvait rendre son nom agréable au roi et aux favorites. Son fils, revenu de la malheureuse campagne de Candie, avait besoin de faveur pour s’élever dans l’armée. C’est aussi le temps où, la cour commençant à tourner à la dévotion espagnole, transmise avec le sang de Philippe II par Anne d’Autriche à son fils, « madame de Sévigné suit à son insu le courant d’idées qui mène à la fois au ciel et à la faveur royale ; sa vie prend le pli, ses lettres prennent l’accent, ses pensées contractent sous leur légèreté superficielle une certaine onction de piété facile. On peut croire que la douleur de vivre loin de l’objet unique de sa passion l’incline aussi plus naturellement vers la source des consolations surnaturelles. Il faut remarquer à sa gloire, cependant, que cette dévotion, devenue à cette époque un costume de cour, ne fut jamais chez elle une lâche adulation au parti dominant dans le conseil de la conscience du roi ; elle resta secrètement fidèle à ses premières amitiés et à ses constantes vénérations pour les Arnauld, les rigoristes et les indépendants du catholicisme ; ses gémissements et des tendresses pour les solitaires persécutés de Port-Royal