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MADAME DE SÉVIGNÉ.

étude). Si vous voulez avoir quelque repos avec moi, ne lisez point Virgile ; je ne vous pardonnerais jamais les injures que vous pourriez lui dire. Si vous vouliez cependant vous faire expliquer le sixième livre et le neuvième, où est l’aventure de Nisus et d’Euryalus, et le onze et le douze, je suis sûr que vous y trouveriez du plaisir : Turnus vous paraîtrait digne de votre estime et de votre amitié, et, en un mot, comme je vous connais, je craindrais fort pour M. de Grignan qu’un pareil personnage vînt aborder en Provence ; mais moi qui suis bon frère, je vous souhaiterais du meilleur de mon cœur une telle aventure ; puisqu’il est écrit que vous devez avoir la tête tournée, il vaudrait mieux que ce fût de cette sorte que par l’indéfectibilité de la matière, et par les négations non-conversibles (doctrine cartésienne). Il est triste de n’être occupé que d’atomes et de raisonnements si subtils que l’on n’y puisse atteindre…

» Quoi qu’il puisse arriver, je vous assure que ma reconnaissance et ma tendresse seront toujours les mêmes pour vous, ma belle petite sœur. »

Corneille, La Fontaine, Bourdaloye, Bossuet, Fénelon, l’Arioste, le Tasse, Pétrarque, Montaigne, Boileau, Don Quichotte, le Coran, Nicole, Pascal, Molière, étaient ses favoris ; elle ne pressentait pas la grandeur de Racine, dissimulée sous l’uniforme perfection du style, dans le poëte jeune encore qui venait éclipser ses vieilles admirations. Racine, d’ailleurs, alors amoureux de la Champ-mêlé, actrice et beauté célèbre, était le rival heureux du baron son fils, épris de la même comédienne, et qui lui prodiguait son cœur et sa fortune. Les préventions de madame de Sévigné contre Racine étaient une antipathie de famille. Dans tout le reste, son jugement sain était le précurseur de celui de la postérité. Son parti pris contre les jésuites et son engouement pour les jansénistes ne l’em-