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MADAME DE SÉVIGNÉ.

du tout. Il leur fait donc justice quand il les laisse à cause du péché originel, qui est le fondement de tout, et il fait miséricorde au petit nombre de ceux qu’il sauve par son fils. Jésus-Christ le dit lui-même : « Je connais mes brebis, je les mènerai paître moi-même : je n’en perdrai aucune ; je les connais, elles me connaissent. Je vous ai choisis, dit-il à ses apôtres ; ce n’est pas vous qui m’avez choisi. » Je trouve mille passages sur ce ton : je les entends tous, et, quand je vois le contraire, je dis : C’est qu’ils ont voulu parler communément ; c’est comme quand on dit que Dieu s’est repenti, qu’il est en furie, c’est qu’ils parlent aux hommes ; et je tiens à cette première grande vérité, qui est toute divine, qui me représente Dieu comme Dieu, comme un maître, comme un souverain créateur et auteur de l’univers, et comme un être enfin très-parfait selon la réflexion de votre père (Descartes). Voilà, mes petites pensées respectueuses dont je ne tire point de conséquences ridicules et qui n’ôtent point l’espérance d’être du nombre choisi après tant de grâces qui sont des préjugés et des fondements de cette confiance. Je hais mortellement de vous parler de tout cela, pourquoi m’en parlez-vous ? Ma plume va comme une étourdie ! »

Elle passe de ces sublimités de la métaphysique aux plaisanteries les plus enjouées et les moins maternelles sur les amours de son fils, qu’elle livre à la risée un peu amère de sa sœur. Par une fatalité héréditaire contre le cœur des Sévigné, cette même Ninon de Lenclos, qui avait enlevé à vingt ans l’amour de son mari a madame de Sévigné, lui enlevait à cinquante-quatre ans le cœur de son fils. La fleur de la beauté survivait aux années dans cette courtisane. La renommée d’esprit, de goût, de philosophie qui s’accroissait avec le nombre de ses adorateurs, ajoutait pour Sévigné à sa séduction. Ninon n’était plus seulement un attrait, elle était une mode, on se glorifiait de son