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BOSSUET.

véritable, pour décerner le rang définitif dans la gloire. Ils sont étouffés par la multitude, qui juge plus grand ce qu’elle voit de plus près. Il faut plusieurs générations, et quelquefois plusieurs siècles, avant que ces égaux des hommes supérieurs naissent et jugent en assez grand nombre pour former le tribunal compétent de la vraie grandeur. Jusque-là, la foule se trompe ; c’est la le mystère de la postérité ; ses jugements cassent ceux du temps. Attendre est la condition de la gloire.

Bourdaloue et Massillon ont été déclarés, à leur époque, plus grands orateurs de la chaire que Bossuet ; les années ont rectifié ce jugement. Bourdaloue n’est qu’un puissant argumentateur ; Massillon, qu’un mélodieux flatteur d’oreilles ; Bossuet seul était complètement éloquent, parce qu’il était à la fois lyrique et pathétique, et qu’il avait les ailes et le cri de l’aigle ; mais il volait et criait trop haut dans le ciel pour être entendu d’en bas.

Madame de Sévigné, qui a transmis avec tant de grâce les chuchotements d’un siècle a un autre, et dont on peut appeler le livre le commérage immortel de la postérité, parle sans cesse dans ses Lettres des harangues de Bourdaloue, et ne dit pas un mot des sermons de Bossuet.

Jusqu’au moment où il fut désigné par le roi pour l’évêché de Condom, la vie de Bossuet à Paris était ce qu’elle avait été à Dijon et à Metz, solitaire, studieuse, exemplaire. Il logeait chez l’abbé de Lameth, doyen de l’église Saint-Thomas du Louvre, sorte de retraite entre le monastère et le monde, qui protégeait l’austérité des mœurs en laissant la fréquentation des amitiés. Les mœurs de ce grand homme avaient cette tristesse évangélique qui, selon La Bruyère, est l’âme de l’éloquence chrétienne. Rien ne s’évaporait hors de lui de ses pensées. Quelques ecclésiastiques de haute naissance, de science consommée, de vie irréprochable, noviciat d’élite de l’épiscopat d’alors,