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MADAME DE SÉVIGNÉ.

car tout ce qui est uniforme est fastidieux ; il faut qu’il raisonne, car l’homme est raison ; il faut qu’il se passionné, car le cœur est passion ; il faut qu’il converse, car la lecture est un entretien avec les absents ou avec les morts ; il faut qu’il soit personnel et qu’il ait l’empreinte de l’esprit, car un homme ne ressemble pas à un autre ; il faut qu’il soit lyrique, car l’âme a des cris comme la voix ; il faut qu’il pleure ; car la nature humaine a des gémissements et des larmes ; il faut… Mais des pages ne suffiraient pas à énumérer tous les éléments dont se compose le style. Nul ne les réunit jamais dans une langue écrite, dans une telle harmonie que madame de Sévigné. Elle n’est pas un écrivain, elle est le style.

Reprenons sa vie, elle en a fait la lecture à tous ceux qui aiment à se retrouver dans autrui. En l’écoutant vivre, on croit vivre soi-même deux fois. C’est que son livre n’est pas un livre, c’est une vie.

Une seule passion avait succédé dans son âme à celle qu’elle avait eue pour son mari ; cette passion, c’était sa fille. Jamais femme ne fut aussi mère. Si vous ôtiez cette fille de l’âme et des lettres de madame de Sévigné, il n’y resterait qu’un grand vide sans mouvement, sans chaleur et sans écho, où rien ne palpite, pas même un cœur. Par un phénomène d’instinct maternel qui ressemble presque autant à un miracle de la nature qu’à un prodige d’affection, bien que cette mère eût enfanté cette fille depuis quinze ans, elle semblait porter toujours ce fruit mal détaché de ses entrailles dans ses flancs. Elle continuait à l’envelopper de sa chaleur, à lui donner sa vie, à vivre de la sienne. Elle ne sentait Dieu, la nature, le monde, ses ambitions, ses vanités, ses amitiés même, que dans cette enfant. Entre l’univers et elle, il y avait sa fille ; mais, si l’univers avait disparu et que sa fille lui fût restée, elle ne se serait pas aperçue de la disparition de l’univers. Il faut