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MADAME DE SÉVIGNÉ.

admettre cette espèce de folie de l’instinct maternel dans l’âme de madame de Sévigné pour comprendre cette connexité absolue d’existence, et cet anéantissement, complet de sa personnalité dans un autre. L’antiquité n’a pas de telles fatalités dans ses fables ; il n’y a pas dans l’Enfer ou dans le Paradis du Dante une telle identification d’un être dans un autre, un tel supplice, un tel bonheur ! Tantôt bonheur et tantôt supplice, comme nous allons le voir en la regardant exister.-Après

Après avoir adoré cette fille, son image vivante et même embellie, dans sa retraite pendant ses années d’enfance, madame de Sévigné la produisit enfin au grand jour de Paris et de la cour. S’il lui en coûtait délaisser échapper son trésor de son sein, sa vanité maternelle, la plus sainte des vanités, l’enivrait d’avance de l’ivresse d’admiration que sa fille allait exciter à son apparition sur cette grande scène. Cet orgueil impersonnel ne fut pas trompé, et ne devait pas l’être : les mémoires et les poésies du temps sont de l’avis de la mère sur les charmes de la fille. Ménage l’appelle le miracle de nos jours. Le satirise Bussy lui-même ne l’appelle jamais que la plus jolie fille de France. Elle effaça ce groupe éblouissant de beautés célèbres qui figuraient dans les ballets de Louis XIV, dans les carrousels et dans les fêtes de Fontainebleau. On ne douta pas, à l’envie de ses rivales, que le jeune roi ne fût bientôt ébloui lui-même, et qu’elle ne devînt la favorite de ce règne naissant. Mais, soit que Louis XIV se souvînt trop de ses ressentiments d’enfance contre le nom de Sévigné, trop mêlé à la Fronde, soit que mademoiselle de Sévigné, trop adorée par sa mère, se sentit au-dessus de l’adoration d’un roi, soit enfin qu’elle eût plus l’éclat qui produit l’admiration que cet attrait qui produit l’amour, le roi fut poli, mais insensible à tant de charmes. Mademoiselle de Sévigné, qui avait autant d’esprit, mais un autre esprit que sa mère,