MÉMOIRES POLITIQUES
prit. Un homme, un étranger se présente ; la foule le regarde sans le connaître. Il était parvenu au milieu de la
vie ; il avait voyagé de longues années dans toutes les contrées
de l’Orient pour y étudier les mœurs des hommes, et
pour y soulever le voile peint de rêves jeté par l’imagination
sur le berceau des peuples. Revenu dans Halicarnasse,
sa patrie, il avait servi son pays dans les conseils du
peuple ; il y avait été proscrit, tantôt par la tyrannie, tantôt
par la démagogie ; car en servant la liberté et les intérêts
du peuple, il ne consentait pas à en servir les anarchies
ou les caprices ; rentré dans la vie privée, il avait
écrit ce qu’il avait vu, ou ce qu’il avait appris de la bouche
des autres hommes. Il tenait à la main un manuscrit ; il
le déroula à la voix des juges ; il lut le premier livre de ses
récits devant l’assemblée. La Grèce entière, suspendue à
ses lèvres, lui décerna d’acclamation un des prix, et la
postérité, ratifiant ce jugement du peuple le plus sensible de
la terre, l’appela depuis le père de l’histoire : et cette voix
eut un écho, car elle fit éclore un autre historien plus grand
que lui. Le jeune Thucydide, caché parmi les auditeurs,
pleurait d’émotion. « Tu es heureux, dit l’historien couronné
au père du jeune Thucydide, qui lui présentait son
fils, tu es heureux, car ton fils aime la gloire. » C’est
ainsi qu’on appelait alors la vertu.
» Messieurs, cet inconnu, cet étranger, c’était Hérodote, le père de l’histoire antique. Je ne suis pas Hérodote, je ne suis même pas un de ces historiens qui ont conquis et qui conquièrent tous les jours en France ce titre, et dont les différences d’opinions politiques ne m’empêchent pas de reconnaître le mérite supérieur et les travaux. Je ne suis pas Hérodote ! Vous n’êtes pas la Grèce ! mais vous êtes la