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première époque.

J’allais d’un tronc à l’autre, et je les embrassais ;
Je leur prêtais le sens des pleurs que je versais,
Et je croyais sentir, tant notre âme a de force,
Un cœur ami du mien palpiter sous l’écorce.
Sur chaque banc de pierre où je m’étais assis,
Où j’avais vu ma mère assise avec son fils,
Je m’asseyais un peu ; je tournais mon visage
Vers la place où mes yeux retrouvaient son image ;
Je lui parlais de l’âme, elle me répondait ;
Sa voix, sa propre voix dans mon cœur s’entendait,
Et je fuyais ainsi du hêtre au sycomore,
Réveillant mon passé pour le pleurer encore.
Du nid de la colombe à la loge du chien,
Je revisitais tout et je n’oubliais rien,
Et je disais à tout un adieu sympathique,
Et, de tout emportant quelque chère relique,
Je remplissais mon sein de feuillage roulé,
Du sable de la cour par ma mère foulé,
De la mousse enlevée aux murs verts des tourelles,
Et du duvet tombé du toit des tourterelles ;
Puis, quand j’eus complété mon douloureux trésor,
Pour consumer la nuit qui me restait encor,
J’allai dans le parterre, au pied de la fenêtre
De la chambre où ma mère aussi veillait peut-être
Près du bassin d’eau vive où tremble le bouleau,
Le corps sur le gazon, le front penché sur l’eau,
Sur l’eau que j’écoutais sangloter dans sa fuite,
Comme un pas décroissant d’un ami qui nous quitte
Et là, prenant la terre et l’herbe à pleine main,
Collant ma lèvre au sol que j’allais fuir demain,
J’embrassai cette terre où j’avais pris racine,
D’où m’arrachait si tendre une force divine ;
J’ouvris mon cœur trop plein, et j’en laissai couler
Ce long torrent de pleurs qui voulait s’y mêler.