Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 6.djvu/105

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deviennent transparents comme l’air même qui les enveloppe, et dont on peut à peine les distinguer ; on jurerait que l’on voit, à travers, la lueur d’un autre soleil déjà couché, ou l’immense réverbération d’un incendie lointain.

Une de ces montagnes entre autres présente à nos yeux la forme d’un croissant renversé ; elle semble se creuser à mesure pour ouvrir un sillon aérien au disque du jour, qui y roule dans la poussière d’or de la vapeur qui monte à lui. Les crêtes plus rapprochées, que le soleil a déjà franchies, se teignent de violet pourpré ou de couleur lilas pâle ; elles nagent dans une atmosphère aussi riche que la palette d’un peintre ; plus près de nous encore, d’autres collines, couvertes déjà de l’ombre du soir, semblent vêtues de noires forêts ; enfin celles qui forment le premier plan, celles que nous touchons et dont l’écume lave les falaises, sont toutes plongées dans la nuit ; l’œil n’y distingue que quelques anses où se réfugient les nombreux pirates de ces bords, et quelques promontoires avancés qui portent, comme Napoli de Malvoisie, des villes ou des forteresses sur leur sommet escarpé. Ces montagnes, vues ainsi du pont d’un navire, à cette heure où la nuit les drape de ses mille illusions de couleur, sont peut-être les plus belles formes terrestres que mes yeux aient encore contemplées ; et puis le navire flotte si doucement, incliné comme un balcon mobile sur la mer qui murmure en caressant sa quille ! l’air est si tiède et si parfumé ! les voiles rendent de si beaux sons à chaque bouffée de la brise du soir ! Presque tout ce que j’aime est là, tranquille, heureux, en sûreté, regardant, jouissant avec moi. Julia et sa mère sont accoudées tout près de moi sur