Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 6.djvu/20

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Moi, j’ai comme eux le pain que chaque jour demande.
J’ai comme eux la colline et le fleuve écumeux ;
De mes humbles désirs la soif n’est pas plus grande
Et cependant je pars et je reviens comme eux.
Mais, comme eux, vers l’aurore une force m’attire ;
Mais je n’ai pas touché de l’œil et de la main
Cette terre de Cham, notre premier empire,

Dont Dieu pétrit le cœur humain.

 

Je n’ai pas navigué sur l’océan de sable,
Au branle assoupissant du vaisseau du désert,
Je n’ai pas étanché ma soif intarissable,
Le soir, au puits d’Hébron de trois palmiers couvert ;
Je n’ai pas étendu mon manteau sous les tentes,
Dormi dans la poussière où Dieu retournait Job,
Ni la nuit, au doux bruit d’étoiles palpitantes,

Rêvé les rêves de Jacob.

 

Des sept pages du monde une me reste à lire :
Je ne sais pas comment l’étoile y tremble aux cieux,
Sous quel poids de néant la poitrine respire,
Comment le cœur palpite en approchant des dieux !
Je ne sais pas comment, au pied d’une colonne
D’où l’ombre des vieux jours sur le barde descend,
L’herbe parle à l’oreille, ou la terre bourdonne,

Ou la brise pleure en passant.

 

Je n’ai pas entendu dans les cèdres antiques
Les cris des nations monter et retentir,
Ni vu du haut Liban les aigles prophétiques
S’abattre, au doigt de Dieu, sur les palais de Tyr ;
Je n’ai pas reposé ma tête sur la terre
Où Palmyre n’a plus que l’écho de son nom,
Ni fait sonner au loin, sous mon pied solitaire,

L’empire vide de Memnon.