Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 7.djvu/356

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vage ou gracieux, d’une côte qu’on ne soupçonnait pas la veille, et qu’on longe au lever du jour, en mesurant les hauteurs de ses montagnes, ou en montrant du doigt ses villes et ses villages, brillants comme des monceaux de neige entre des groupes de sapins ; tout cela emporte plus ou moins notre âme, soulage un peu le cœur, laisse évaporer de la douleur, assoupit le chagrin pendant que le voyage dure ; toute cette douleur retombe de tout son poids sur l’âme aussitôt qu’on a touché le rivage, et que le sommeil, dans un lit tranquille, a rendu l’homme à l’intensité de ses impressions. Le cœur, qui n’est plus distrait par rien du dehors, se retrouve en face de ses sentiments mutilés, de ses pensées désespérées, de son avenir emporté : on ne sait comment on supportera la vie ancienne, la vie monotone, la vie vide des villes et de la société. C’est ce que j’éprouve, au point de désirer maintenant une éternelle navigation, un voyage sans fin, avec toutes ses chances et ses distractions même les plus pénibles. Hélas ! c’est ce que je lis dans les yeux de ma femme, bien plus encore que dans mon cœur. La souffrance d’un homme n’est rien auprès de celle d’une femme, d’une mère ; une femme vit et meurt d’une seule pensée, d’un seul sentiment : la vie, pour une femme, c’est une chose possédée ; la mort, c’est une chose perdue ! Un homme vit de tout, bien ou mal ; Dieu ne le tue pas d’un seul coup.