Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 8.djvu/126

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Ce sont, pensai-je, des adieux à ce monde qu’il veut que je fasse. Mais l’attachement profond que je ressentais déjà pour lui l’emporta sur cette réflexion ; je ne songeai plus qu’au présent, et je profitai du temps qu’il m’avait accordé pour me bien divertir. Mais, hélas ! le temps du plaisir passe vite ! j’en vis bientôt le terme. M. Lascaris me pressa de partir ; je me rendis à ses ordres, et, profitant d’une caravane qui allait à Hama, le jeudi 18 février 1810, nous quittâmes Alep, et arrivâmes au village de Saarmin après douze heures de marche. Le lendemain, nous repartîmes pour Nuarat-el-Nahaman, jolie petite ville à six heures de là. Elle est renommée pour la salubrité de l’air et la bonté de ses eaux : c’est la patrie d’un célèbre poëte arabe, nommé Abou-el-Hella-el-Maari, aveugle de naissance. Il avait appris à écrire par une singulière méthode. Il restait dans un bain de vapeur pendant qu’avec de l’eau glacée on lui traçait sur le dos le dessin des caractères arabes. On cite de lui plusieurs traits d’une étonnante sagacité, entre autres celui-ci : Se trouvant à Bagdad chez un calife, auquel il vantait sans cesse l’air et l’eau de son pays, ce calife fit venir de l’eau de la rivière de Nuarat, et, sans l’en prévenir, lui en fit donner à boire. Le poëte l’ayant reconnue de suite, s’écria : « Voilà bien son eau limpide ; mais où est son air si pur !… »

Pour en revenir à notre caravane, elle s’était arrêtée deux jours à Nuarat pour assister à une foire qui s’y tenait tous les dimanches. Nous allâmes aussi nous y promener, et, dans le tumulte qu’elle occasionnait, je perdis de vue M. Lascaris, qui avait disparu dans la foule. Après l’avoir cherché longtemps, je finis par le découvrir à l’écart, dans