Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 8.djvu/7

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mis des Serviens ! que Dieu multiplie le gland des chênes de la Schumadia, car chacun de ces arbres est un Servien ! » — Et que veulent-ils dire par là ? — Hospodar, ils veulent dire que, pendant la guerre, les Serviens trouvaient un rempart derrière le tronc de ces chênes ; leurs forêts étaient et sont encore leurs forteresses, chacun de ces arbres est pour eux un compagnon de combat ; ils les aiment comme des frères : aussi, quand le prince Milosch, qui les gouverne actuellement, a fait couper tant d’arbres pour tracer, à travers ces forêts, la longue route que nous suivons, les vieux Serviens l’ont bien souvent maudit. « Abattre des chênes, disaient-ils, c’est tuer des hommes. » En Servie les arbres et les hommes sont amis.

En traversant ces magnifiques solitudes, où, pendant tant de jours de marche, l’œil n’aperçoit, quelque part qu’il se porte, que l’uniforme et sombre ondulation des feuilles de chênes qui couvrent les vallées et les montagnes, véritable océan de feuillage que ne perce pas même la pointe aiguë d’un minaret ou d’un clocher ; en descendant de temps en temps dans des gorges profondes où mugissait une rivière, où la forêt s’écartait un peu pour laisser place à quelques champs bien cultivés, à quelques jolies maisons de bois neuves, à des scieries, à des moulins qu’on bâtissait sur les bords des eaux ; en voyant d’immenses troupeaux, conduits par de jeunes et belles filles élégamment vêtues, sortir des colonnades de grands arbres, et revenir le soir aux habitations ; les enfants sortir de l’école, le pope assis sur un banc de bois à la porte de sa jolie maison, les vieillards entrer dans la