Page:Lamartine - Cours familier de littérature, un entretien par mois, 1858.djvu/29

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Tout homme avec fierté peut vendre sa sueur !
Je vends ma grappe en fruit comme tu vends ta fleur,
Heureux quand son nectar, sous mon pied qui la foule,
Dans mes tonneaux nombreux en ruisseaux d’ambre coule,
Produisant à son maître, ivre de sa cherté,
Beaucoup d’or pour payer beaucoup de liberté !
Le sort nous a réduits à compter nos salaires,
Toi des jours, moi des nuits, tous les deux mercenaires ;
Mais le pain bien gagné craque mieux sous la dent :
Gloire à qui mange libre un sel indépendant !

La Fortune, semblable à la servante agile
Qui tire l’eau du puits pour sa cruche d’argile,
Élevant le seau double au chanvre suspendu,
Le laisse retomber quand il est répandu ;
Ainsi, pour donner l’âme à des foules avides,
Elle nous monta pleins et nous descendit vides.
Ne nous en plaignons pas ; elle est esclave, et fait
Le ménage divin de son maître parfait ;
Bénissons-la plutôt, retombés dans la vase,
De n’avoir pas brisé tout entier l’humble vase,
D’avoir bu dans l’écuelle et de nous avoir pris
Tantôt pour le pouvoir, tantôt pour le mépris.
L’un et l’autre sont bons, pourvu qu’on y respecte
Le rôle de l’étoile ou celui de l’insecte :