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MON PREMIER AMI

tête à tête, lui, à me citer les contes du petit Poucet, de l’oiseau bleu, du petit cheval vert et d’autres encore, moi, à l’écouter ; mais ce que j’aime à me rappeler aujourd’hui ce sont les originalités peu banales du père Bernier. Pour n’en mentionner qu’une, laissez-moi vous dire qu’il était un vieux joueur de dames. Souvent je faisais la partie avec lui, mais je n’étais pas fort, vu mon jeune âge, c’est pourquoi souvent il jouait la partie seul, il jouait pour lui-même et aussi pour un adversaire imaginaire. Très honnête au jeu, il se faisait scrupule de jouer franc, et pour lui-même et pour son adversaire. Maintes fois je le vis jouer une partie très intéressante, même quelquefois le père Bernier perdait la partie. Alors, vexé d’avoir perdu, il se punissait en passant le reste de la journée à ne dire mot à personne. En le voyant triste et silencieux, on savait alors à quoi s’en tenir ; grand’père avait perdu la partie de dames car par nature il était gai et expansif. Avouons qu’il avait raison d’être vexé ; car l’adversaire imaginaire aurait dû faire preuve de plus de jugement et de délicatesse à son égard, il aurait dû se contenter tout simplement de faire partie nulle. C’est encore mon avis…

Avant de venir aux États-Unis grand’père s’était abonné à un journal qu’il avait reçu