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Elles virent la tortue dans cet étang et lui dirent : « Que faites-vous-là ? L’étang va être à sec et vous périrez faute d’eau. » L’autre, faisant siffler ses paroles, leur répondit : « Je suis ici parce qu’il me plaît. Qui vous a dit de venir mettre votre nez dans mes affaires ? Parce que dans mon existence antérieure j’étais trop fière j’ai été changée en tortue, mais si vous venez me tracasser je saurai bien encore vous parler. »

Les deux aigrettes la voyant si méchante se dirent : « Puisqu’elle est si hautaine il nous faut trouver un moyen de la faire périr. » Elles lui répondirent donc : « Si vous vouliez quitter ce lieu nous nous mettrions à votre disposition pour vous transporter en un autre où vous auriez de l’eau en abondance. Ici vous péririez. »

La tortue vit qu’elles avaient raison. Elle leur dit : « Je ne puis voler, comment ferez-vous pour me transporter ? » Les aigrettes dirent : « Si vous voulez partir mordez une aile à chacune de nous, il nous restera une aile chacune pour voler ; mais gardez-vous bien d’ouvrir la bouche pour parler. »

La tortue mordit donc les ailes des aigrettes et celles-ci s’envolèrent. Comme elles passaient au-dessus d’une auberge où l’on vendait du thé, les gens qui se trouvaient là se mirent à crier : « Oh ! voilà des aigrettes qui portent une bouse de buffle. » La tortue fut irritée mais elle n’osa rien dire. Un peu après elles passèrent au-dessus d’un marché. Les gens se rassemblèrent par groupes et dirent : « Voilà ! voilà deux aigrettes qui portent un chien mort. » Le naturel irascible de la tortue reprit le dessus et, oubliant le soin de sa sûreté, elle voulut les insulter, mais elle n’eut pas même le temps de proférer ses injures, elle tomba au milieu de ces gens qui la firent cuire et la mangèrent.

Les aigrettes se réjouirent et dirent : « Nous l’avons punie ; maintenant l’étang des nénuphars va être à nous et nous pourrons y prendre du poisson sans avoir peur qu’elle nous insulte. »