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d’affaire. » Le tigre inclina la tête deux ou trois fois ; l’homme alors courut chez lui, prit du rau mà et un bec de cormoran[1] et retourna avec deux ou trois autres personnes au lieu où le tigre gisait le cou tendu. Il pila ses herbes et les introduisit dans la gueule du tigre qu’il racla ensuite à deux ou trois reprises avec le bec de cormoran. Le poisson descendit aussitôt dans l’estomac. Le tigre soulagé se mit à bondir de joie.

Quatre ou cinq jours après, au milieu de la nuit, l’homme entendit un bruit de pas autour de sa maison, et le lendemain il trouva des traces de tigre et un porc qui avait les pattes brisées et que son tigre lui avait apporté en signe de reconnaissance.

Deux ans plus tard, une nuit qu’il avait été porter des nasses au barrage, l’homme mourut subitement. Le tigre emporta le cadavre et alla l’enterrer dans un tombeau de princes.

Mais lorsque, le jour venu, la famille ne vit pas revenir son chef, on se mit à sa recherche. L’on trouva près du barrage les traces du tigre, on les suivit jusqu’au moment où elles se perdirent près du tombeau. Là on vit un petit tertre tout récent, on le fouilla et l’on y trouva le cadavre du mort, qui ne portait aucune trace de violence. Son fils Nguyèn nhut l’emporta pour le mettre dans un cercueil et ensuite le fit enterrer ailleurs.

Le tigre alla à ce tombeau, le démolit et en enleva le cadavre qu’il porta à travers les rizières jusqu’au Giong mô nuong où il l’enterra profondément. Il égalisa ensuite la terre et ne marqua pas la place par un tertre, de peur qu’on ne défît encore son

  1. Cân côt. (Voir Tirant, Oiseaux de la Basse-Cochinchine n° 350,351,352). Quand une arête reste au gosier d’un homme on lui frotte l’extérieur du cou avec le bec du cormoran ou la patte droite de devant de la loutre. Ce bec et cette patte étant des engins à prendre le poisson sont censés devoir faire disparaître l’arête par leur vertu intime.
    Le rau mà est une plante à odeur forte que l’on fait cuire avec le poisson ; ici il est employé dans la pensée que son suc amer amollira l’arête. De même un prisonnier, voulant briser ses fers, les enveloppera de rau mà.