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pas entrer, mais, après lui avoir demandé son nom et son âge, alla prévenir le huyên que Luu binh qui se disait son ami demandait à le voir.

Le huyên avait l’intention de piquer son ami d’honneur afin qu’il se mit au travail, mais il n’en fit rien connaître. Il réprimanda le soldat et lui dit : « De quel ami me parles-tu ? Ai-je pour amis des gueux de la sorte ? mène-le à la cuisine et fais-lui manger un bol de riz brûlé et une aubergine gâtée et ensuite qu’il s’en aille. Tu lui diras que ton maître fait ses adieux à son ancien ami. »

Le soldat revint et s’emporta contre Luu binh. « Vous êtes un intrigant, lui dit-il, vous m’avez fait réprimander. Vous n’êtes pas l’ami de mon maître. N’allez pas prendre tous les nobles pour en faire vos parents[1]. Venez ! que je vous fasse manger un bol de riz et vous partirez. »

Luu binh était irrité, aussi malgré la faim qu’il ressentait ne mangea-t-il pas le riz brûlé et l’aubergine gâtée qu’on lui servit. Il dit en soupirant : « Je pensais trouver un appui dans l’ami devenu illustre, mais il n’estime que la richesse et méprise la pauvreté ; ce n’est pas là se conduire en homme. Mieux vaut végéter en supportant la faim et buvant de l’eau. » Là-dessus, tout attristé, il s’en alla en chancelant.

Cependant Duong lè avait appelé sa concubine Chàu long et lui dit : « J’ai un ami nommé Luu binh qui est très pauvre et n’a pas encore pu se distinguer. Il est venu ici pour me voir, mais j’ai fait semblant de ne pas le connaître et je lui ai fait faire affront par un soldat en lui faisant servir du riz brûlé et une aubergine gâtée qu’il n’a pu manger. Il s’en va tout irrité, mais il est à bout de ressources et n’a plus de quoi continuer ses études ; il faut que vous alliez le nourrir à ma place. Le service

  1. Allusion à un proverbe : Thây nguoi sang bât quàn làm ho, voir un noble et en faire son parent.