Page:Landry, L’intérêt du capital, 1904.djvu/181

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83. Chez Senior, qui le premier a formulé cette théorie avec quelque netteté, l’abstinence est présentée comme un troisième élément de la production, qui viendrait s’ajouter aux deux éléments primaires, le travail et la nature. Dans une société tant soit peu civilisée, les biens que l’on consomme sont pour la plupart le produit d’un travail dépensé longtemps auparavant. C’est qu’en effet les productions les plus avantageuses sont celles dont les résultats ne sont obtenus qu’après une attente plus ou moins longue, et souvent très longue. Veut-on tirer des moyens productifs dont on dispose tout ce qu’ils peuvent donner ? il faudra se résigner à reculer le moment de l’achèvement et de la consommation des produits, il faudra non seulement dépenser du travail, mais en outre s’imposer une abstinence d’une certaine durée. Et c’est de là que vient l’intérêt : comme le travail, l’abstinence qui s’y ajoute se paie, elle entre dans le coût de production ; le capitaliste, retrouvant dans son produit l’équivalent du travail que ce produit lui a coûté, devra y retrouver aussi la rémunération de son abstinence : ce sera l’intérêt[1].

Cette théorie de l’abstinence a provoqué de la part de certains socialistes des railleries et des sarcasmes variés. Mais ces railleries et ces sarcasmes ne constituent nullement une critique. Marx[2] plaisante Senior sur l’usage qu’il fait de l’idée de l’abstention[3], montrant que toute action est une abstention de l’action contraire, que manger, c’est s’abstenir de jeûner, etc. ; plaisanterie facile, qui oublie que parmi

  1. Political economy, 4e éd., Londres et Glasgow, 1858, pp. 57 et suiv.
  2. Le capital, I, chap. 24, § 3. pp. 261-262 de la trad. fr.
  3. De cette idée il a été fait parfois un usage singulier ; ainsi par Loria (voir plus haut, § 55).