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elle montre sa puissance en attirant, par exemple, les hommes dans ces carrières où il y a des chances, même très réduites, de réaliser de grandes fortunes[1].

63. Les erreurs et l’ignorance. — Nous ne nous arrêterons pas longtemps sur les erreurs de tous genres où l’homme tombe au sujet de ses intérêts économiques : la matière est trop vaste, et il faut se contenter de donner quelques indications.

Nous noterons, par exemple, que peu de gens savent comment il faut s’y prendre pour déterminer correctement son intérêt, par rapport à la distribution de sa consommation entre les périodes successives de la durée. À la place de la règle de l’équilibre de la consommation, les gens mettent, comme Böhm-Bawerk l’a remarqué[2], des règles qu’ils ont adoptées arbitrairement : l’un arrange son économie de manière à ne pas diminuer son capital, un autre de manière à s’assurer, au bout d’un certain temps, un certain revenu ; celui-ci se donne pour but d’arriver à payer ses dettes, celui-là de laisser à chacun de ses enfants une certaine somme, etc.

Notons encore que l’on ne sait pas, à l’ordinaire, apprécier convenablement les risques. Et ne sachant pas les apprécier convenablement, les uns seront poussés par leur tempérament optimiste à les estimer trop bas, cependant que les pessimistes au contraire les estimeront trop haut[3].

Et combien de fois nous péchons par ignorance — au sens propre de ce mot — ! Combien de gens ignorent, par exemple, les dangers que comporte pour la santé l’exercice de telle ou telle profession !

Toutefois, dans l’ensemble, l’erreur et l’ignorance ne sont pas pour ôter beaucoup de sa valeur à l’hypothèse de l’homo oeconomicus. Elles nous écartent de notre intérêt tantôt dans un sens, tantôt dans un autre, en sorte que ces effets contraires se neutralisent. Et il semble, d’autre part, qu’ils ne donnent naissance que rarement à des phénomènes économiques notables.

64. L’insouciance. — Reste enfin, parmi les faits que l’on objecte à la conception de l’homo oeconomicus, cette insouciance qui nous empêche, bien souvent, de chercher à déterminer notre intérêt avec exactitude. L’homo oeconomicus ne s’abandonne à aucun moment au jeu spontané de ces inclinations, de ces forces de toutes sortes qui sont en nous ; il calcule toutes ses actions. Mais l’homme réel, soutient-on, est très éloigné d’agir ainsi : et comment pourrait-il le faire ? il se condamnerait par là à ne jamais agir, ou à agir toujours trop tard ; il se condamnerait plus sûrement encore à ne jamais goûter le bonheur de vivre. Le plus souvent, donc, il se

  1. Cf. Marshall, Principles, liv. VI, chap. 3, § 6.
  2. Positive Theorie des Capitales, liv. III, v, iii, pp. 447-8.
  3. Cf. H. Stanley Jevons, Essays on economics, II, pp. 84-85.