Page:Landry, Principes de morale rationnelle, 1906.djvu/119

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tend bien — que je citais plus haut, à savoir que l’autorité du commandement moral ne dépasse pas l’obéissance que ce commandement obtient de nous. Il reste cependant que les « vérités » de la morale, si on les fonde sur la raison, comme il faut faire, offrent un caractère particulier : l’impossibilité de remonter plus haut que la raison, l’insistance, en outre, avec laquelle celle-ci exige qu’on lui confie la direction de la conduite, le fait, enfin, que cette exigence devient d’autant plus impérieuse que nous réfléchissons davantage, que nous prenons davantage conscience de nous-même, tout cela réuni donne au devoir une signification et nous force à lui conserver une place dans la morale[1].


Plus grave que celle des « naturalistes », et de plus de conséquence, est à coup sûr cette autre erreur qui consiste à concevoir le devoir comme « obligatoire » ; et j’ose avancer que la tâche la plus importante qui s’offre au moraliste aujourd’hui, c’est de renverser la notion de l’obligation. Cette tache, divers philosophes l’ont entreprise dans ces derniers temps ; il ne semble pas cependant qu’aucun l’ait menée à bien. Guyau a écrit une Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction ; et la critique qu’on trouve dans ce livre de l’idée de

  1. La doctrine de Leslie Stephen se rattache à celle de Spencer. Veut-on savoir pourquoi un homme ayant le sentiment de l’obligation cédera à ce sentiment ? « la réponse, dit Spencer, sera d’une nature tout aussi générale que celle qu’on pourrait faire à la question : pourquoi un homme se sentant en appétit se met-il à manger ? » (Justice, Appendice C, p. 329). Ainsi, pas plus que Leslie Stephen, Spencer n’a vu ces caractères particuliers du besoin moral d’où la notion du devoir tire son vrai sens.
    La conception naturaliste de la morale se retrouve aujourd’hui chez M. Wundt, chez M. Höffding. Mais nul, à mon sens, ne l’a exposée avec autant de rigueur et de netteté que Leslie Stephen.