Aller au contenu

Page:Landry, Principes de morale rationnelle, 1906.djvu/121

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

monde existe, aucune autorité n’a encore voulu se laisser prendre pour objet de la critique ; et aller jusqu’à critiquer la morale, la morale en tant que problème, tenir la morale pour problématique, cela n’est-il pas immoral ?[1] » Qu’on mette ici « obligation » à la place de « morale », ce qui n’est sans doute pas être infidèle à la pensée profonde de Nietzsche, et l’observation apparaîtra très juste. Non seulement la notion de l’obligation nous semble une notion élémentaire, où l’analyse n’a point de prise, mais comme cette notion s’impose à nous avec force, nous sommes portés à la placer au-dessus de toute discussion : une question préalable s’élève devant celui qui voudrait mettre en doute la valeur de la notion ; nous nous croyons obligés de croire à l’obligation.

Cette question préalable que je viens de dire, il convient de la repousser[2]. On a vu plus haut qu’il était impossible de critiquer la raison ; cette impossibilité tenait à ce que la seule faculté dont nous disposons pour la critique, c’est la raison, et que la raison ne saurait se critiquer elle-même. Ici, il n’y a rien de tel ; rien ne nous empêche d’examiner s’il y a lieu d’attribuer à l’obligation une réalité, ou si l’obligation au contraire, dans ce qu’elle a de spécifique, dans ce qui la distingue du devoir tel que je l’ai défini, n’est pas purement illusoire.

Que si l’on entreprend cette recherche, on consta-

  1. Aurore, Avant-propos, § 3.
  2. Cf. les réflexions de M. Simmel sur l’ « ontologie morale » ; pas plus que Dieu, dit M. Simmel, le devoir — je mettrais ici : l’obligation — ne se prouve par l’idée qu’on en peut avoir (Einleitung, 1, t. I, pp. 10-11, 24, 26 et passim).