Page:Landry, Principes de morale rationnelle, 1906.djvu/132

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qu’un sentiment ne comportait pas de justification. Un sentiment, disent ces auteurs, agit ou n’agit pas ; on l’éprouve ou on ne l’éprouve pas ; mais il ne saurait être question de le justifier ou de le condamner : car entreprendre de le justifier, c’est l’assimiler à une proposition, et une telle assimilation est fautive. Tout ce que l’on peut donc faire, c’est de constater les chances plus ou moins grandes de durée que le sentiment possède, c’est encore de voir si l’accord existe entre le sentiment de l’individu et les sentiments de ses semblables. En définitive, ce ne sont que des questions de fait — jamais des questions de droit — qu’il y a lieu de poser à propos des sentiments.

Nous avons déjà rencontré cette opinion. Les objections que j’ai fait valoir contre elle tendaient à établir que, si on l’adopte, il devient impossible de constituer une morale rationnelle ; que d’autre parties tenants de cette opinion n’avaient pas prouvé qu’il n’y eût pas quelque manière de résoudre le problème moral. Il faut maintenant compléter cette réfutation, et indiquer la voie par laquelle nous arriverons à la solution désirée.

Je dirai tout de suite que la justification d’un sentiment ne peut pas se faire comme la démonstration d’un théorème. Le théorème affirme un certain rapport entre deux termes ; le sentiment est un mouvement de l’être vers un certain objet. On démontre un théorème en s’appuyant sur quelque autre proposition, en recourant, le plus souvent, à un troisième terme pour unir les deux termes qu’il rapproche ; la justification d’un sentiment — pour autant du moins que ce sentiment est élémentaire, qu’il n’implique pas la croyance à une