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Page:Landry, Principes de morale rationnelle, 1906.djvu/169

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exerce souvent une influence déprimante sur le caractère, justifie dans une certaine mesure l’animosité que Nietzsche a montrée contre elle. Mais d’autre part la sympathie active est une source de joies très vives. Celui qui se laisse guider par elle a du plaisir parce qu’il satisfait une inclination. Il en a, en outre, parce que l’exercice de la bienfaisance exalte en nous, comme le remarquait Hobbes, le sentiment de notre puissance et parce qu’il élargit en quelque sorte notre individualité[1].

D’autres forces encore agissent dans le même sens que les sentiments altruistes. C’est, par exemple, la crainte que nous avons, si nous ne prenons conseil que de notre égoïsme, d’encourir le blâme de nos semblables, c’est le désir d’être estimés d’eux : mobile extrêmement puissant, beaucoup plus puissant que l’observation de ce qui se passe en nous à la lumière de la conscience ne nous le donnerait à croire ; à preuve, cet affaiblissement, cette perversion même du « sens moral » qui se manifeste chez beaucoup d’individus lorsqu’ils sont transportés parmi des gens avec lesquels ils ne sont pas en communion d’idées, qu’ils sentent très différents d’eux-mêmes.

Les diverses causes que je viens de passer en revue

  1. Guyau, dans son Esquisse d’une morale (voir I, 1-3), insiste sur cette idée que « la plus haute intensité de vie a pour corrélatif nécessaire sa plus large expansion ». Mais Guyau attribue un prix à l’intensité de la vie prise en elle-même ; pour moi, cette intensité n’a de valeur qu’en tant qu’elle accroît le bonheur.
    Aux remarques précédentes, j’aurais pu ajouter cette remarque que lorsqu’on croit qu’il est moral de travailler au bien d’autrui, l’exercice de la bienfaisance nous procure ce plaisir spécial, la satisfaction du devoir accompli. Mais ceci implique l’hypothèse de l’adhésion de l’agent à une morale non égoïste ; et nous cherchons en ce moment si, partant d’une morale égoïste, on peut passer à une morale de l’intérêt général.