Page:Landry, Principes de morale rationnelle, 1906.djvu/171

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Évidemment, le passage sera impossible si l’on croit que toutes nos actions tendent vers notre bonheur propre. Et c’est pourquoi les fondateurs de l’utilitarisme moderne, persuadés que les actions humaines étaient toujours inspirées par l’égoïsme, et voulant cependant amener les hommes à agir conformément au bien commun, ont renoncé finalement à constituer une morale de l’utilité générale ; c’est pourquoi ils se sont préoccupés de donner à leur morale la législation comme complément. Tous les hommes ne tendent qu’à leur bonheur, disait Helvétius ; ce principe posé, il est évident que « la morale n’est qu’une science frivole, si l’on ne la confond avec la politique et la législation »[1]. Et Bentham de même, s’il a parfois, comme on a vu, affirmé la liaison naturelle des intérêts, a dû reconnaître ailleurs que cette liaison n’était pas constante ; et il a employé ses efforts à tracer le programme d’une législation qui produisît l’identité de la prudence avec la bienveillance.

On ne soutient plus guère, aujourd’hui, la thèse de l’égoïsme unique déterminant de nos actions. Mais on regarde communément l’égoïsme comme plus « naturel » que l’altruisme, et en conséquence de cette conception on considère l’égoïsme comme rationnel, tandis que l’altruisme n’aurait nullement ce caractère. C’est ainsi que l’on voit des philosophes, partisans de la doctrine de l’utilité générale, renoncer à convaincre les égoïstes de la vérité de cette doctrine et recourir à l’idée d’une sanction supra-terrestre. C’est ainsi que l’on voit un auteur[2] regarder le sacrifice comme contraire à la mora-

  1. De l’esprit, II, 15.
  2. M. Gourd. Lire son article sur Le sacrifice.