Page:Landry, Principes de morale rationnelle, 1906.djvu/172

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lité parce qu’il laisse après lui une dépression de tout l’être, ou même qu’il conduit celui-ci à sa perte. Certains encore, sans déclarer nettement qu’ils tiennent l’égoïsme pour seul rationnel, montrent cependant qu’ils sont dominés, en quelque sorte malgré eux, par cette idée. Lorsque Guyau s’attache à montrer que les utilitaires anglais n’ont pas réussi à identifier les intérêts individuels avec l’intérêt général, il ne dénonce pas seulement une lacune qui existe dans leur argumentation, il donne à croire que sans cette lacune il serait pour le moins fortement incliné à accepter leur doctrine.

Ainsi, pour faire accepter la doctrine de l’utilité générale, il est indispensable de ruiner cette croyance que l’égoïsme est, sinon le motif unique de nos actions, du moins un mobile plus « naturel » que l’égoïsme. Cette critique de l’égoïsme a été faite excellemment par M. Simmel, lequel a rendu par là un service signalé a la philosophie morale[1]. Que signifie, demande M. Simmel, cette proposition : l’égoïsme est plus naturel que l’altruisme ? Elle peut vouloir dire ou que l’égoïsme est plus primitif, ou qu’il est plus simple, ou qu’il est plus général. Il n’est pas plus simple : en quoi une action que j’accomplis est-elle plus simple quand elle tend à mon bien propre que lorsqu’elle tend au bien d’autrui ? Il n’est pas plus primitif : l’égoïsme et l’altruisme sont issus l’un et l’autre d’une souche commune, loin que celui-ci soit dérivé de l’autre ; et peut-être même dans les sociétés primitives la pensée et l’activité des individus étaient-elles tournées vers la

  1. Voir l’Einleitung, 2.