Page:Landry, Principes de morale rationnelle, 1906.djvu/173

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communauté plutôt que vers leur moi. Il n’est pas plus général, aujourd’hui encore : tout au moins l’altruisme s’y mêle-t-il perpétuellement, dans les modes et dans les mesures les plus variées. Et enfin, quand l’égoïsme serait plus simple, plus primitif, plus général que l’altruisme, quelle primauté morale cela lui conférerait-il ?

En somme, tout ce qu’il y a lieu d’accorder aux défenseurs déclarés de l’égoïsme et à ces philosophes qui se laissent en quelque sorte intimider par lui, c’est que l’égoïsme est une tendance très puissante. Notre personne est plus proche de nous, s’il est permis de parler ainsi, que toute autre personne ; nous sommes constamment en présence d’elle, alors qu’il nous est possible, souvent, de ne penser à aucun de nos semblables. De plus, quoi que nous voulions faire, et alors même que notre activité tend vers le bien d’autrui, ce sont nos facultés psychiques, nos forces physiques qu’il nous faut mettre en jeu tout d’abord : d’où il résultera que notre personne, moyen pour toutes les fins que nous poursuivons, deviendra ensuite, par un processus bien connu, une fin en soi[1]. Pour ces raisons, notre personne est très souvent l’objet de nos préoccupations principales[2]. Toutefois, comme M. Simmel l’a

  1. Il est curieux de noter que M. Simmel a invoqué ce processus auquel je fais allusion pour appuyer la thèse inverse de celle que je soutiens ici. Il montre comment l’égoïste est contraint d’employer des moyens sociaux pour arriver à ses fins, et comment ces moyens sociaux réagissent sur le but individuel.
  2. On peut remarquer même, en prenant le contre-pied d’une thèse qui a longtemps été en faveur, que l’évolution des sentiments est caractérisée par un développement de l’égoïsme : nous pensons plus à nous que nos ancêtres, que les hommes des races peu avancées, parce que nous opposons plus nettement notre moi à celui des autres, parce que nous