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Page:Landry, Principes de morale rationnelle, 1906.djvu/175

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tré que l’égoïsme renfermait un élément rationnel, que dans cet égoïsme, par cela seul qu’il juge, qu’il apprécie, une certaine moralité, la moralité formelle était présente[1].

C’est la raison qui donne naissance à l’égoïsme calculateur : c’est la raison, aussi, qui le justifie. Car cet égoïsme — il faut y revenir encore — a besoin d’être justifié : il n’est pas évident d’une manière immédiate, sans démonstration, qu’on doive le pratiquer. L’égoïsme calculateur n’existe pas chez tous les individus ; du moins il nous arrive, à tous tant que nous sommes, de manquer à ce qu’il nous prescrit. Une impulsion violente me pousse à goûter un plaisir qui s’offre à moi : je sais que ce plaisir ne durera qu’un instant, et qu’il sera suivi d’une longue suite de conséquences douloureuses ; cela ne m’arrête pas. J’ai tort sans doute ; mais encore faut-il me montrer pourquoi j’ai tort, ou plutôt ce que signifie au juste cette désapprobation qu’on fait de ma conduite. Sidgwick demandait, s’adressant aux partisans de la morale égoïste : « pourquoi sacrifier un plaisir présent pour un plus grand dans l’avenir ? pourquoi me considérer moi-même comme intéressé dans mes sentiments à venir plutôt que dans les sentiments des autres personnes ? » Et Guyau trouve cette argumentation naïve autant que subtile[2]. Elle n’est pas subtile en réalité, bien qu’elle s’écarte des façons de raisonner et de penser habituelles ; et elle est encore moins naïve. Sidgwick ne nie pas que l’égoïsme calcu-

  1. Morale, 3, § 5 (p. 30) ; cf. Simmel, Einleitung, 2 (t. I, p. 180).
  2. La morale anglaise contemporaine, 1re partie, 8, § 5 (note 2 de la page 144).