Page:Landry, Principes de morale rationnelle, 1906.djvu/186

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je me suis moi-même déjà trouvé en présence d’un problème qui a des rapports étroits avec le problème posé ci-dessus. Dans mon ouvrage sur L’utilité sociale de la propriété individuelle, étudiant ces conflits qui naissent nécessairement, entre les intérêts particuliers et l’intérêt général, de l’institution de la propriété, j’ai dû me demander si la répartition des richesses qui résulte de cette institution est ou non la meilleure ; il m’a fallu rechercher quelle serait la meilleure répartition des richesses. Et alors j’ai raisonné de la manière suivante. Les plaisirs, les peines de deux individus ne peuvent pas se comparer ; entre les deux systèmes d’équivalents que constituent les plaisirs et les peines de l’un d’une part et d’autre part les plaisirs et les peines de l’autre, il est impossible d’établir une communication. Par suite, les valeurs d’usage que les biens ont pour les différents individus sont incommensurables. Veut-on prendre comme unité de mesure l’utilité d’un bien déterminé, en faisant égales l’utilité que ce bien présente pour l’un des individus considérés et l’utilité qu’il présente pour l’autre ? La solution de la difficulté qu’on obtiendrait par là serait entièrement arbitraire : et la preuve, c’est qu’on arrivera à des résultats très divers selon qu’on aura choisi comme unité l’utilité de tel bien ou celle de tel autre bien. Et cependant il faut résoudre le problème : il ne peut pas être indifférent que les richesses soient réparties d’une façon ou d’une autre[1]. Dans ces condi-

  1. Bentham a dit d’une manière analogue : « [l’]addibilité du bonheur des sujets différents a beau, lorsqu’on la considère soigneusement, apparaître comme fictive, elle est un postulat faute duquel tout raisonnement politique est rendu impossible » (cité par Halévy, dans La formation du radicalisme philosophique, t. III, pp. 350-351).