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Page:Landry, Principes de morale rationnelle, 1906.djvu/188

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de tout contenu, ce n’est que la notion d’une règle ; l’égalité par laquelle la justice se définit, c’est une égalité purement formelle, c’est simplement la négation de l’arbitraire et du privilège[1]. Mais le passage est facile pour l’esprit de l’égalité formelle à l’égalité matérielle, celle-ci étant comme le symbole de celle-là ; et beaucoup de gens croient ou sont portés à croire que la justice veut immédiatement l’égalité réelle. Lors même qu’on met autre chose dans l’idée de justice, on acceptera sans peine, pour arriver à s’entendre avec ceux qui conçoivent la justice d’une manière différente, la répartition égalitaire. Tel pense que les hommes « n’ont pas tous les mêmes besoins », qu’il y aurait plus de bonheur au total dans l’humanité s’il était donné plus à ceux-ci qu’à ceux-là ; mais devant l’impossibilité de convaincre les autres qu’il en est ainsi, et de déterminer exactement de combien les besoins de celui-ci — pour parler un langage qui est courant — dépassent les besoins de celui-là, il s’accommodera de la formule égalitaire.

Cette première raison est fondée, comme on voit, sur une considération d’ordre en quelque sorte politique, sur l’intérêt qu’il y a à adopter pour la répartition une formule qui se fasse accepter de tous aisément. C’est de la même façon qu’il convient d’entendre, si l’on tient pour incommensurables les plaisirs des différents individus, l’argument que me fournissait le sens commun. On estime communément que, du point de vue de l’intérêt général, les désirs nécessaires de l’un doivent passer avant les fantaisies et les caprices de

  1. Cf. mon article sur L’idée de justice distributive.