Aller au contenu

Page:Landry, Principes de morale rationnelle, 1906.djvu/217

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne justifie pas. On peut d’ailleurs observer que cette évolution est plus rapide dans la morale sociale que dans la morale personnelle. Ne s’agit-il que de nous-même ? nous éprouvons des scrupules très forts à secouer le joug des idées morales qui nous ont été inculquées. S’agit-il d’actions qui concernent notre prochain ? alors plus facilement nous nous inspirerons de notre raison, laquelle nous engagera à vouloir le bon heur de ce prochain, et pas autre chose. La morale personnelle, j’ajoute, ne sera pas identique selon qu’on se l’appliquera à soi-même ou qu’on l’appliquera à l’un de ses semblables : j’admettrai que les autres, dans celles de leurs actions qui se terminent à eux-mêmes, ne cherchent que leur plaisir, plus aisément que je ne me résoudrai à ne penser pour moi qu’à mon plaisir.

Ce qui vient d’être dit de l’influence de la réflexion sur l’évolution des idées morales courantes porterait à croire que dans les doctrines élaborées par les philosophes l’utilité doit tenir une place plus grande encore que dans les croyances communes. Il n’en va pas toujours ainsi. Les philosophes ont souvent une tournure d’esprit scolastique — c’est là chez eux une sorte de tare professionnelle — ; l’attention qu’ils donnent aux abstractions les détourne de la vue directe et concrète des choses. Il leur arrive même, parfois, de mettre un point d’honneur à s’éloigner de ce que le bon sens, la raison enseigne. Malgré cela, on voit l’utilitarisme pénétrer les doctrines mêmes de ces auteurs qui se défendent d’être utilitaires. Bentham soutenait qu’on ne combat jamais la doctrine de l’utilité qu’avec des principes qui lui sont empruntés ; et il y a une part de vérité dans cette assertion. Il représentait que les morales oppo-