Page:Landry, Principes de morale rationnelle, 1906.djvu/273

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Un accroissement prodigieux du bien-être total de l’humanité résultera, croyez-vous, de l’institution d’un régime social qui répartisse également les richesses ; mais en attendant que ce régime égalitaire soit institué, ne manquez pas de donner votre superflu à ceux qui manquent du nécessaire : le bien que vous ferez par là, pour se terminer à quelques individus, n’en est pas moins quelque chose de positif et de certain. Et à ce propos notons, en passant, que la morale utilitaire bien entendue et rigoureusement appliquée est, contrairement à ce que disait Stuart Mill[1], une morale extrêmement exigeante. La morale traditionnelle et les morales philosophiques qui sont plus ou moins proches d’elle peuvent nous imposer des efforts pénibles, nous demander même le sacrifice de notre vie. Mais cela n’arrivera que dans des circonstances exceptionnelles ; le reste du temps, nous serons quittes moyennant l’observation d’un certain nombre de règles. Il en va tout autrement avec l’utilitarisme. Mill nous représente bien que les occasions sont peu fréquentes où notre action peut s’étendre au delà d’un cercle étroit ; et il est sûr que rarement nos actes intéressent l’humanité entière ou une collectivité tant soit peu importante. Mais on ne peut pas conclure de là que la morale utilitaire soit une morale facile. Mill oublie qu’il est mille actions que cette morale nous commande qui n’intéressent que l’un ou l’autre de nos voisins, et qui, surtout si on les accumule, représentent des sacrifices terriblement durs ; il oublie le fait de l’extrême inégalité des richesses, et la loi économique de la décroissance

  1. Utilitarisme, 3, pp. 32-35.