Page:Landry, Principes de morale rationnelle, 1906.djvu/95

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à justifier tous les autres besoins, ou plutôt les actes par lesquels nous cherchons à satisfaire ceux-ci, tandis que lui-même ne comporte aucune justification. La raison se demande si nous devons obéir aux impératifs hypothétiques ordinaires, aux impératifs, par exemple, de la prudence ou de la charité ; mais la question n’aurait aucun sens qui consisterait à examiner si nous devons obéir à la raison.

Si l’on remarque, en même temps, que l’usage de la raison accompagne nécessairement la prise de conscience de soi-même, on comprendra mieux que l’obéissance à la raison, c’est la prise de possession de soi-même, et on donnera au devoir tout son sens. Cette idée se rencontre à tout instant chez les moralistes, exprimée d’une manière ou de l’autre, que l’accomplissement plus ou moins parfait du devoir marque le soin plus ou moins grand que l’on prend de soi-même, qu’être moral, c’est « rester fidèle à soi », c’est « conserver son moi réel »[1]. Que de fois n’a-t-il pas été dit, encore, que nous n’étions vraiment hommes qu’à la condition de suivre notre raison ! Cette dernière formule, toutefois, demande à être bien entendue, et elle a servi souvent, notamment chez les philosophes de l’antiquité, à résumer une théorie inacceptable. Si nous devons suivre notre raison de préférence à telle autre de nos facultés, ce n’est pas parce que la raison est la faculté qui nous distingue des autres êtres ; le devoir ne s’attache pas à la notion de ce qui nous est propre ; ce qui confère à la raison son autorité, c’est le fait que nous ne pouvons pas nous connaître sans qu’aussitôt elle

  1. Les formules que je cite sont de M. Höffding.