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Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/105

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maîtriser. En tout cas, des réflexions inspirées par des exemples semblables, on aurait pu déduire, même pour les individus, la nécessité d’une définition générale du bien, qui embrassât les différentes circonstances. Démocrite avait déjà entrevu la possibilité d’aboutir à une telle définition ! Un élève de Démocrite et de Protagroras, qui aurait su échapper par la tangente, si je puis m’exprimer ainsi, à la philosophie de ces deux hommes, au lieu de suivre Socrate dans son évolution, aurait pu parfaitement arriver à cet aphorisme : L’homme est la mesure des choses : l’individu, dans un moment donné, pour un phénomène donné ; l’homme en tant que moyenne, pour tout un ensemble de phénomènes.

Protagoras et Prodicus ébauchèrent aussi les sciences grammaticale et étymologique, et nous ne pouvons déterminer quelle part leur revient dans ce qu’on attribue aujourd’hui à Platon et à Aristote. Il nous suffit de savoir que les sophistes avaient déjà porté leur attention sur les mots et sur leur signification. Or, en règle générale, le mot est le signe d’un ensemble de sensations. Ne se trouvait-on pas ainsi sur la voie qui conduisait aux idées générales, telles que les comprenait le nominalisme du moyen âge ? Sans doute, dans une pareille théorie, l’idée générale ne serait pas devenue plus réelle ni plus certaine que l’idée particulière, mais au contraire plus éloignée de son objet et plus incertaine, et, en dépit de Platon, d’autant plus incertaine qu’elle eut été plus générale.

Les actions humaines, considérées dans le sens strictement individualiste, sont toutes également bonnes. Pourtant les sophistes les classaient en louables et blâmables, selon leur rapport avec l’intérêt général de l’État. N’auraient-ils pas pu aussi s’élever à l’idée de classer en normales et anormales, au point de vue de la pensée générale, les perceptions qui, en elles-mêmes, sont toutes également vraies ? Le fait que la sensation individuelle est seule vraie, c’est-à-dire certaine, dans la stricte acception du mot, n’en serait pas resté moins