Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/106

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immuable ; mais, sans nier cela, on aurait dressé une échelle graduée des perceptions, suivant leur valeur dans les relations mutuelles des hommes.

Si enfin l’on eût voulu appliquer aux idées générales précitées, prises dans le sens nominaliste, une pareille échelle indiquant les valeurs relatives, on aurait atteint, par une nécessité presque invincible, à l’idée de la vraisemblance, tant les sophistes grecs paraissent s’être rapprochés de ce qu’on peut considérer comme le fruit le plus mûr de la pensée moderne ! La voie du développement semblait ouverte. Pourquoi fallut-il voir triompher la grande révolution qui, pour des milliers d’années, égara le monde dans le dédale de l’idéalisme platonicien ?

Nous avons déjà fait entrevoir la réponse à cette question. Il n’existe pas de philosophie se développant d’elle-même, que ce développement résulte d’oppositions ou qu’il suive une ligne droite ; il n’y a que des hommes qui s’occupent de philosophie et qui, avec toutes leurs doctrines, n’en sont pas moins les fils de leur époque. L’apparence séduisante d’un développement par oppositions, tel que l’admet Hégel, repose précisément sur ce fait, que les pensées qui dominent dans un siècle ou que les idées philosophiques d’un siècle n’expriment qu’une partie de la pensée totale des peuples. Parallèlement au courant des idées philosophiques, se meuvent des courants tout à fait distincts, parfois d’autant plus puissants qu’ils paraissent moins à la surface, qui tout d’un coup deviennent les plus forts et refoulent le premier.

Les idées, qui devancent de beaucoup leur époque, risquent de disparaître bientôt ; elles ont besoin de se fortifier en luttant péniblement d’abord contre une réaction, pour reprendre ensuite avec plus d’énergie leur marche en avant ; mais comment cela se passe-t-il en réalité ? Plus les hommes à idées neuves, à systèmes nouveaux, se hâtent de s’emparer de la direction de l’opinion publique, plus les