Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/124

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au-dessus de l’individualisme de Protagoras par l’adoption et la démonstration d’une perception normale, c’est-à-dire qu’il faut admettre la généralité en face de l’individualité, la moyenne des phénomènes en face de leur variabilité. Dès lors, la science commence à se placer au-dessus de la simple opinion, avant de s’occuper d’une classe spéciale d’objets homogènes. Mais nous ne connaissons pas encore des classes entières que déjà nous avons besoin de termes généraux, pour fixer notre science et pour pouvoir la communiquer, par le simple motif qu’aucune langue ne suffirait à dénommer toutes les choses prises une à une ; et, dût une langue y suffire, il serait impossible de s’entendre, de posséder un savoir commun et de conserver dans la mémoire une pareille infinité de significations grammaticales. Locke a, le premier, élucidé cette question ; mais on ne doit pas oublier que ce philosophe, malgré l’espace de temps qui le sépare de Platon, était encore engagé dans le grand procès, à la suite duquel les temps modernes se sont affranchis de la conception platonicienne-aristotélique de l’univers.

Socrate, Platon, Aristote et tous leurs contemporains, se laissèrent tromper par les mots. Socrate, comme nous l’avons vu, croyait que chaque mot indique originairement l’essence de la chose ; le terme général doit donc, selon lui, faire connaître l’essence de toute une classe d’objets. Ainsi, pour chaque mot, il suppose une essence distincte : justice, vérité, beauté, doivent, après tout, signifier « quelque chose » ; il faut donc que certaines essences correspondent à ces expressions.

Aristote observe que Platon, le premier, sépara la généralité de l’individualité, ce que n’avait pas fait Socrate. Mais Socrate ignorait aussi la relation du général au particulier, doctrine propre à Aristote et dont nous allons bientôt nous occuper de nouveau. Toutefois, Socrate enseignait déjà que notre science a rapport aux idées générales, et il entendait par là tout autre chose que la nécessité indispensable, dont il a