Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/127

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le suprasensible. Elle est entièrement séparée du reste de l’organisation de l’homme, surtout chez Aristote, qui a développé cette doctrine. On admet des objets particuliers qui sont compris par la raison pure, les noumènes, sur lesquels s’exerce la faculté de connaître la plus élevée, par opposition aux phénomènes. Mais, en réalité, les noumènes ne sont que des chimères ; quant à la pure raison qui doit les comprendre, elle n’est elle-même qu’un être fabuleux. L’homme n’a pas de raison de ce genre, il n’a même aucune représentation (Vorstellung) d’une pareille faculté, qui pourrait connaître les généralités, les abstractions, le suprasensible, les idées, sans l’intermédiaire de la sensation et de la perception. Même quand notre pensée nous fait dépasser les limites du domaine des sens, même quand nous sommes amenés à conjecturer que notre espace avec ses trois dimensions, que notre temps avec son présent qui semble sortir du néant pour y rentrer aussitôt, ne sont que des formes très-pauvres sous lesquelles la pensée humaine se représente une réalité infiniment plus riche, — même alors nous sommes encore réduits à nous servir de notre intelligence ordinaire, dont toutes les catégories sont inséparables du monde des sens. Nous ne pouvons nous figurer ni l’unité, ni la multiplicité, ni la substance par rapport à ses propriétés, ni un attribut quelconque sans mélange du sensible.

Nous sommes donc ici en face du mythe seul, d’un mythe dont le fond intime et la signification sont pour nous l’inconnu absolu, pour ne pas dire le néant. Toutes ces fictions platoniciennes n’ont donc été et ne sont encore aujourd’hui que des obstacles, des lueurs trompeuses pour la pensée, pour la recherche, pour l’assujettissement des phénomènes à l’intelligence humaine, enfin pour la science positive et méthodique. Mais, de même que l’esprit de l’homme ne se contentera jamais du monde intellectuel que l’empirisme exact peut nous donner, de même aussi la philosophie platonicienne restera toujours le premier et le plus beau mo-