Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/126

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mais nous pouvons nous représenter en imagination une forme nettement accusée de lion ou de rose, complètement exempte des hasards de l’organisation individuelle, hasards qui n’apparaîtront désormais que comme des défauts, des déviations de la forme normale. Ce n’est pas là l’idée du lion ou de la rose propre à Platon, mais un idéal, c’est-à-dire, lui aussi, une création des sens destinée et exprimer aussi parfaitement que possible l’idée abstraite. L’idée elle-même n’est pas visible, car tout ce qui est visible appartient au monde mobile des simples phénomènes ; elle n’a pas de forme déterminée dans l’espace, car le suprasensible ne peut pas occuper d’espace. Cependant, il est impossible d’énoncer quoi que ce soit de positif relativement aux idées sans les concevoir d’une manière sensible quelconque. On ne peut les appeler pures, nobles, parfaites, éternelles, sans y attacher par ces mots des représentations sensibles. Ainsi, dans son idéologie, Platon se voit forcé de recourir au mythe, ce qui nous transporte soudain de la plus haute abstraction dans le domaine du sensible-suprasensible, c’est-à-dire dans l’élément véritable de toute mythologie.

Le mythe ne doit avoir qu’une valeur figurée. Il s’agit de représenter sous une forme appartenant au monde des phénomènes, ce qui en soi ne peut être conçu que par la raison pure. Mais qu’est-ce qu’une image dont on ne peut en aucune façon indiquer le prototype ?

On allègue que l’idée elle-même est perçue par la raison, bien que l’homme, dans son existence terrestre, ne puisse la percevoir qu’imparfaitement ; la raison est alors à cet être suprasensible ce que sont les sens aux choses sensibles. Nous avons ici l’origine de cette séparation profonde entre la raison et le monde des sens qui, depuis Platon, a dominé toute la philosophie et causé d’innombrables malentendus. Les sens n’auraient aucune participation à la science, ils ne pourraient que sentir ou percevoir et se borneraient aux phénomènes : la raison, au contraire, serait capable de comprendre