Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/201

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sent ses cornes et veut s’en servir pour l’attaque avant qu’elles soient complètement développées ; de même que les jeunes panthères et les jeunes lions se défendent déjà avec les pattes et la gueule, quand et peine ils ont des griffes et des dents ; de même que les jeunes oiseaux s’essaient de bonne heure à voltiger ; ainsi se formèrent les rudiments du langage humain. Il y aurait donc folie à croire qu’un seul homme ait donné alors aux choses leurs noms et que, de lui, ses semblables aient appris les premiers mots ; en effet pourquoi admettre qu’un seul individu ait pu tout exprimer par des sons et produire les accents variés du langage, tandis que les autres n’auraient pu en faire autant ? Comment l’inventeur les aurait-il déterminés à employer des sons, dont ils ignoraient entièrement le but et la signification

Les animaux eux-mêmes, mus par la crainte, la douleur ou la joie, produisent des sons très-différents. Le chien molosse montre les dents en grognant, aboie bruyamment ou joue avec ses petits ; laissé à la maison il hurle, et, menacé d’être battu, il pousse des cris plaintifs ; bref, il fait entendre les intonations les plus diverses. On constate la même chose chez d’autres animaux. À plus forte raison, conclut le poëte, doit-on admettre que dès les temps primitifs les hommes ont pu désigner les différents objets par des sons toujours nouveaux.

Le développement progressif des arts est expliqué de la même manière. Lucrèce fait sans doute la part à la sensibilité et au génie inventif des individus ; mais il n’en reste pas moins logiquement fidèle à sa conception du monde, en assignant le principal rôle au tâtonnement plus ou moins aveugle. C’est seulement après avoir fait souvent fausse route que l’homme trouve les vrais moyens qui s’imposent par leur évidente supériorité et sont adoptés définitivement. D’après une pensée d’une remarquable finesse, l’art de filer et celui de tisser ont dû être inventés par le sexe masculin,