Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/359

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personnes, littérateurs ou savants, versées dans la connaissance de la langue anglaise (13). La vanité nationale avait inspiré à la société française une suffisance qui lui faisait regarder comme barbare la civilisation anglaise et les deux révolutions, par lesquelles l’Angleterre avait passé, ne pouvaient qu’augmenter le dédain des Français, aussi longtemps que l’éclat de la cour et les victoires de l’orgueilleux monarque les portaient à oublier les énormes sacrifices qu’avait coûtés cette magnificence. Mais lorsque, avec la vieillesse du roi, l’oppression s’accrut et que le prestige diminua, les plaintes et les doléances du peuple retentirent plus distinctement et, dans toutes les têtes qui pensaient, naquit la conviction qu’en se soumettant à l’absolutisme, la nation était entrée dans une voie désastreuse. Les relations se renouèrent avec l’Angleterre et tandis qu’auparavant Bacon et Hobbes étaient venus en France pour y perfectionner leur instruction, les meilleurs esprits de France affluèrent alors en Angleterre (14), pour y apprendre la langue et la littérature de ce pays.

En politique, les Français rapportèrent d’Angleterre l’idée de la liberté civile et des droits individuels ; mais cette idée se combina avec les tendances démocratiques qui se réveillèrent irrésistiblement en France, et n’étaient au fond, comme l’a prouvé de Tocqueville (15), que le produit de ce régime monarchique, qui établissait l’égalité dans l’obéissance servile et que la démocratie renversa d’une façon si tragique. Sur le terrain de la pensée, le matérialisme anglais se combina de même avec le scepticisme français, et le résultat de cette union fut la condamnation radicale du christianisme et de l’Église, qui, en Angleterre, depuis Newton et Boyle, avaient réussi à se mettre d’accord avec la conception mécanique de la nature. Chose étrange et pourtant facile à expliquer, la philosophie de Newton devait contribuer en France au succès de l’athéisme ; et cependant, ceux qui l’y avaient importée affirmaient qu’elle était moins défavorable à la foi que le cartésianisme !