Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/364

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dément la sombre doctrine qui s’attache à faire ressortir l’existence du mal dans le monde ; malgré cela, il était fort éloigné d’admettre que les lois de la nature fonctionnent aveuglément.

Voltaire ne voulait pas être matérialiste. En lui fermente évidemment une idée vague et inconsciente de la théorie de Kant, alors qu’il répète a plusieurs reprises ce propos si expressif : « Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer. » Nous demandons l’existence de Dieu comme fondement de la morale pratique, enseigne Kant. Si Bayle, qui croyait à la possibilité d’un État athée, avait eu, disait Voltaire, cinq et six cents paysans à gouverner, il aurait bientôt fait prêcher l’idée d’une justice divine. En dépouillant cette pensée de son enveloppe frivole, on verra que, dans l’opinion réelle de Voltaire, la croyance en Dieu est indispensable pour le maintien de la vertu et de la justice.

On comprendra maintenant que Voltaire se soit déclaré sérieusement contre le Système de la nature, la « Bible de l’athéisme », quoiqu’il n’apportât pas dans la lutte le fanatisme concentré de Rousseau. Voltaire se rapproche beaucoup plus du matérialisme anthropologique. En cela il suivait Locke, qui exerça la plus grande influence sur sa philosophie en général. Locke lui-même, il est vrai, laissa ce point indécis. En effet, il se borne à dire que toute l’activité de l’homme découle de l’activité des sons et il ne traite pas la question de savoir si c’est la matière qui recueille les matériaux apportés par les sens, si elle pense ou non ! À ceux qui refusent obstinément à la matière la faculté de penser, comme incompatible avec l’étendue, qui en constitue l’essence, Locke répond d’une façon assez superficielle, en disant qu’il y a de l’impiété à prétendre que l’existence d’une matière pensante soit impossible ; car, si Dieu l’eût voulu, il aurait pu, dans sa toute-puissance, créer la matière capable de penser. Cette tournure théologique donnée à la question plut à Voltaire ; elle lui promettait le point d’appui qu’il