Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/365

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désirait pour ses polémiques avec les croyants. Voltaire se lança dans cette question avec une telle ardeur qu’il ne la laissa pas sans solution, comme avait fait Locke ; il la trancha au contraire dans un sens matérialiste.

« Je suis corps, dit-il dans ses lettres de Londres sur les Anglais, et je pense ; je n’en sais pas davantage. Attribuerai-je maintenant à une cause inconnue ce que je puis si aisément attribuer à l’unique cause féconde que je connaisse ? Et de fait, quel est l’homme qui, sans une absurde impiété, oserait affirmer qu’il est impossible au Créateur de donner à la matière des pensées et des sentiments ? »

Rien sans doute, dans cette déclaration, ne rappelle l’affirmation décidée du matérialisme. Voltaire croyait qu’il fallait avoir perdu toute espèce de sens commun pour admettre que le simple mouvement de la matière suffise à produire des êtres sensibles et pensants (22). Ainsi, non-seulement le Créateur est nécessaire pour rendre la matière pensante, mais encore ce Créateur ne peut pas, comme par exemple chez Hobbes, produire la pensée par le simple mouvement de la matière. Il doit douer la matière d’une force spéciale, qui, suivant toute probabilité, dit Voltaire, bien qu’elle ne soit pas elle-même le mouvement, peut produire le mouvement (dans les actes irréfléchis). Si la question est ainsi comprise, nous nous trouvons sur le terrain de l’hylozoïsme (voir note 1, 1re partie).

Depuis que nous connaissons la loi de la conservation de la force, un abîme sépare, pour la théorie pure, le vrai matérialisme de l’hylozoïsme. Le premier peut seul s’accorder avec cette loi. Kant appelait déjà l’hylozoïsme la mort de toute philosophie naturelle (3), sans doute par le seul motif qu’il rend impossible la conception mécanique des phénomènes de la nature. Cependant il serait inexact de faire sonner trop fort cette distinction chez Voltaire. À ses yeux, certains résultats sont plus importants que les principes : et les conséquences pratiques qu’il peut tirer d’une idée contre