Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/375

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Nous avons souvent fait remarquer (34) que le matérialisme ancien attribue la sensation non aux atomes, mais à l’organisation de petits germes ; cette organisation de petits germes, d’après les principes de l’atomistique, ne peut être qu’une juxtaposition particulière des atomes dans l’espace, atomes qui, pris un à un, sont absolument insensibles. Nous avons vu que, malgré tous ses efforts, Gassendi ne parvient pas à surmonter cette difficulté, et que Hobbes n’élucide pas davantage la question par son affirmation catégorique, qui identifie simplement avec la pensée un moule déterminé de mouvement des corpuscules. Il ne restait plus qu’à tenter de transporter dans les plus petites molécules elles-mêmes la sensation comme propriété de la matière. C’est ce que Robinet essaya dans son Livre de la nature (1761), tandis que la Mettrie, dans son Homme-machine (1748), s’en tenait encore à l’antique conception de Lucrèce.

Le système original de Robinet, riche en éléments fantaisistes et en hypothèses aventureuses, a été dépeint tantôt comme une caricature de la monadologie de Leibnitz, tantôt comme un prélude à la philosophie naturelle de Schelling, tantôt comme un matérialisme pur. Ce dernier titre est le seul exact, bien qu’on puisse lire des chapitres entiers sans savoir sur quel terrain on se trouve. Robinet attribue la vie et l’intelligence, même aux plus petits corpuscules ; les parties constituantes de la nature inorganique sont aussi des germes vivants qui portent en eux le principe de la sensation, sans avoir néanmoins conscience d’eux-mêmes. Du reste l’homme aussi (nouvel et important élément de la théorie de Kant !) ne connaît que sa sensation ; il ne connaît pas sa propre essence ; il ne se connaît pas lui-même comme substance. Plus loin Robinet, dans des chapitres entiers, fait agir l’un sur l’autre le principe corporel et le principe spirituel de la matière, et l’on se croirait sur le terrain de l’hylozoïsme le plus effréné. Tout à coup, on se trouve en présence d’une courte, mais grave déclaration : l’action de l’esprit sur la