Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/405

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n’a d’humain que la forme et l’organisation physique, devra, dès ce moment, par l’emploi des sens, éprouver des sensations qui se coordonneront insensiblement ; et l’instruction fera le reste pour lui donner l’âme, dont la possibilité seule sommeille dans l’organisation physique. Bien que Cabanis, élève de Condillac, ait éliminé avec raison cette hypothèse antinaturelle, il faut néanmoins lui accorder quelque valeur, lorsqu’on voit que la théorie cartésienne des idées innées s’appuie sur des arguments si faibles.

Pour conclusion, de la Mettrie pose les thèses suivantes : « Pas de sens, pas d’idées. » « Moins on a de sens, moins on a d’idées. » « Peu d’instruction, peu d’idées. » « Pas de sensations, pas d’idées. » Il marche ainsi pas à pas vers son but et termine par ces mots : « en conséquence l’âme dépend essentiellement des organes du corps, avec lesquels elle se forme, grandit et décroît : ergo participem lethi quoque convenit esse. »

Tout autrement procède l’écrit qui, déjà dans son titre, fait de l’homme une machine. Si l’Histoire naturelle de l’âme était circonspecte, habilement coordonnée, n’aboutissait que peu à peu à des résultats surprenants ; dans ce nouvel ouvrage, la conséquence finale est énoncée dès le début. Si l’Histoire naturelle de l’âme daignait s’occuper de la métaphysique d’Aristote, pour montrer qu’elle n’est qu’un vain moule où l’on peut aussi verser un contenu matérialiste, ici il ne s’agit plus de toutes ces distinctions subtiles. Dans la question des formes substantielles, de la Mettrie cherche à se réfuter lui-même, non qu’il ait changé d’avis au fond, mais dans l’espoir de mieux soustraire encore à ses persécuteurs son nom, qu’il s’efforce de cacher le plus possible. Aussi les deux ouvrages diffèrent-ils essentiellement quant à la forme. L’Histoire naturelle de l’âme est régulièrement divisée en chapitres et en paragraphes ; l’Homme-machine au contraire se déroule d’un cours ininterrompu comme un fleuve.